Dans notre village de Ranchot, avant la Première Guerre Mondiale, il y avait quelques 300 habitants qui étaient soit forgerons, maçons ou facteurs. Mais la majorité des Ranchotiers travaillaient dans les champs comme bon nombre de français à cette époque. Toutefois, dans le village voisin, existait une forge qui permettait à une trentaine d'habitants de travailler.

A Ranchot, toute petite commune, il y avait peu de commerces (boulangerie ...). L'essentiel se faisait par vente ambulante. D'ailleurs, en ce temps, les déplacements étaient différents : on marchait beaucoup, on roulait en calèche ou en train. Mais il y avait très peu de voitures.

Les petits Ranchotiers allaient à l'école ou travaillaient avec leurs parents. les écoliers devaient tous les jours entretenir leur classe et la chauffer en prenant soin de remplir le poêle de bois.

En 1914 la guerre arriva. Tout le monde pensait qu'elle allait être courte. Une cinquantaine de Ranchotiers partirent défendre les couleurs du drapeau français. Petit à petit, on comprit que cette guerre allait finalement durer. Petit à petit les femmes remplacèrent les hommes partis à la guerre dans la vie du village. Petit à petit les écoliers firent l'école buissonnière pour aider toutes ces femmes aux travaux des champs.

Le facteur de Ranchot devint une factrice qui, tous les 3 jours, allait récupérer à la gare du village quelques 80 kg de missives à trier puis à distribuer. Et tous les 3 jours elle espérait apporter du bonheur à tous ceux qui s'inquiétaient pour leurs proches. Mais petit à petit, on se douta très vite que toutes ces lettres étaient mensongères : il ne fallait pas donner des informations aux camps adverses au cas où elles auraient été interceptées ; il fallait aussi cacher les horreurs de la vie dans les tranchées afin que chacun garde le moral. Mais les habitants savaient au fond d'eux que cette guerre n'était pas facile du tout.

La plus âgée de nos doyennes nous a fait le récit malheureux d'un triste retour de permission : ravie de retrouver son mari sur le quai de la gare de Ranchot pour un week-end dans ses bras, notre fameuse factrice s'est vue remettre à la place, par un de ses camarades, son carnet intime couvert de sang. Le petit garçon, son fils, qui allait épouser quelques années plus tard notre doyenne, venait de perdre son père.

Cette Grande Guerre fit presque 18 millions de morts dont 1,7 millions de Français. Pour rendre hommage à tous ces soldats morts pour défendre la France, pratiquement toutes les communes de notre pays décidèrent au lendemain de la guerre de construire un monument. 

Celui de notre village, situé dans la rue principale, a vu le jour le 14 novembre 1920. C'est Monsieur Garçin, marbrier à l'époque, qui décida de sa forme en obélisque, symbolisant ainsi le lien entre le Ciel et la Terre. On peut y voir également la croix de guerre gravée et la feuille de laurier, symboles de la victoire française. Et à jamais gravé dessus, le nom des 12 Ranchotiers qui périrent lors de cette Grande Guerre.